Idéal Blanc
« On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses que l’on n’oserait confier à personne. » Cioran.
L’art qui sauve
« Comme si, étant mon propre négatif, je pouvais continuer à me projeter sur des écrans, mais qu’il me fallait un écran ; alors qu’est la mort là-dedans, l’écran, ou l’image ? »
Alix Cléo Roubaud Journal 1979-1983 Éditions Seuil.
Si la photographie de l’intime n’offre au mieux qu’un décevant deuil du réel, comment évaluer la juste distance d’un profond travail de deuil, expatrié dans le domaine de l’art. Christelle Richard-Dauphinot scénographie photos et installations en quête d’un impossible Idéal blanc.
Comme le revendique la communication publicitaire de la marque : « Au fil du temps et des expériences, la mémoire jaunit, ternit et grisaille. Cʼest pourquoi elle nécessite une attention artistique particulière. Idéal Blanc l’exposition, a développé une solution unique qui lave, détache, blanchit et parfume vos souvenirs visuels. »
La grande lessive s’engage dans le maelström blanc et couleurs des clichés.
En suspension dans le cadre, une chemise révèle une étrange ambivalence. La vitrine se fait cénotaphe du corps absent réduit au seul vêtement.
Dans sa blancheur amidonnée, le manteau se résume ensuite à la large fermeture Éclair ouvragée qui le clôt en mode linceul.
Quelques images en couleurs argentiques, visiblement datées d’un autre temps, entrent en dialogue avec un récit de peu de mots.
Deux listes semblent évoquer le contenu d’une valise à boucler, mais pour quel départ ? L’une imprimée met au pluriel « les chaussures, les collants, les colliers », l’autre brodée en blanc sur un drap virginal dresse au singulier « le parapluie, les colliers, le manteau ». Les textes restent mystérieux, gardant leur force poétique loin de l’efficacité d’une légende.
Le blanc devenu proprement sanitaire, nous replonge dans une actualité de la pandémie, temps de la production des images et de leur mise en exposition. Soignants masqués, au visage rendu anonyme, patients en transit, figures et passants des salles d’attente …
Dès lors les objets s’empilent sans qu’on en retrouve l’usage, sinon la vaine séduction sculpturale d’un ordre hygiénique. Le public, encore masqué, quitte l’exposition. Personne n’enfilera plus la chemise aux manches décalées.
En 2015 Caroline Bourgeois monte la manifestation collective « L’illusion des lumières » au Palazzo Grassi, à Venise. Elle y invite l’artiste américain Doug Wheeler, né en 1939. Son action plonge l’atrium dans un champ lumineux blanc, hypnotique et immatériel. Sa série Infinity Room désoriente tout en accroissant la perception de soi et de l’espace.
Idéal blanc nous oblige à déchiffrer les indices de la fiction documentaire pour en trouver la contradiction dans la lettre finale et redéfinir notre position. Le lieu d’exposition devient une chambre infinie où la résilience trouve son espace.
Comme en écho des civilisations orientales, le blanc est assimilé à la mort célébrée. L’artiste rejoint ainsi la pensée de Michel Pastoureau qui voit à la fois dans le blanc « l’écho du monde des morts » mais aussi « la lumière primordiale, l’origine du monde, le commencement des temps ». Toute la sensualité des formes blanches revisitées, comme leur appropriation mémorielle, nous font sortir de cet hôpital général où nous a plongé la pandémie, pour trouver par l’art d’autres voies vers la vie.
Christian Gattinoni, critique d’art (extraits)