Apnées

Tu es artiste vidéaste. Tu as trouvé l’aquarium rectangulaire que tu cherchais. Tu le remplis d’eau. Tu disposes l’objectif du caméscope devant la vitre de l’aquarium. Tu bascules d’un quart le caméscope, il est posé sur son flanc.
Tu plonges ta tête dans l’eau, à la verticale. Tu écrases ton visage immergé contre la vitre de l’aquarium. Tu regardes l’objectif du caméscope, à travers la vitre. Tu souris. Les mèches de tes cheveux se répandent dans l’eau. Des bulles d’air s’échappent de ton nez puis de ta bouche. Tu vas reprendre ta respiration. Tu y retournes plusieurs fois, le visage toujours plaqué contre la vitre, regard caméra, sourire caméra. Le plan séquence dure douze minutes.

Le magnétoscope est maintenant relié au moniteur vidéo. Tu bascules d’un quart la position du moniteur, l’écran est à la verticale, en format portrait. Alors déroule l’image filmée de ta tête, immergée. Au lieu d’être renversée vers le fond, ta tête est à l’endroit. En haut de l’image : la profondeur de l’eau. En bas de l’image : la surface et l’espace d’air où tu viens reprendre ton souffle. Les mèches de cheveux se répandent dans l’eau, vers le haut de l’écran.

Tu dérègles la luminosité, les contrastes et les couleurs directement sur le moniteur vidéo. C’est un petit moniteur, l’image filmée de ta tête est à l’échelle humaine. La vitre de l’aquarium et la vitre de l’écran ne font qu’une.

Pourquoi ?

Voici ce que tu soutiens, à l’époque : « Je détourne le médium vidéo par un double basculement : du caméscope d’abord, puis du moniteur. C’est un bouleversement des repères. Je monte en boucle ce plan séquence qui est déjà cyclique. Le dérèglement des couleurs sur le moniteur accentue l’aspect pictural. »

Et pourquoi ?

Tu continues : « Ce travail est aphasique, je refuse de prononcer un discours. Il est sans concession. Je n’ai aucune autre justification valable à offrir, tout juste quelques récits personnels immergés dans ma mémoire. Quelques rapprochements seraient à faire avec mon histoire, mais je n’écris pas ce texte pour y raconter ma vie. »