Dessin - peinture

« Le premier qui a fini, a perdu. »

J’ai été, pendant dix ans, une jeune professeure d’arts plastiques en collège.
À chaque rentrée, j’accueille une myriade d’élèves de sixième, que je félicite d’abord d’être encore des enfants :
« Profitez-en ! Vous n’êtes pas encore des grands ! Dessinez sans entrave et sans complexe ! »

Le tout premier sujet proposé a un air d’école Bauhaus. La myriade est invitée à tracer de multiples lignes avec des feutres, sur du papier. Remplir soigneusement des surfaces. Surtout, ne représenter aucun élément qui ressemble. Faire disparaître le blanc de la feuille, mais sans colorier.
Mettre le temps nécessaire, jusqu’à entière satisfaction du travail accompli.
Ainsi, à chaque rentrée, dans le silence et la concentration, rivés à leur feuille à dessin, parfois en tirant le bout de la langue, la myriade imagine moultes subterfuges artistiques, pour décrocher la meilleure note possible … et l’estime de leur professeure.

Les années passent après la fin de ma carrière de jeune enseignante.
Je reprends mes marques dans une démarche artistique personnelle, axée plutôt sur la photographie. Puis, un beau matin, sans crier gare, je saisis une feuille et quelques feutres. Je surinvestis mon support en y alternant, de manière répétitive, une multiplication de signes abstraits. Je m’attelle à faire disparaître la surface originelle du support, dans une démarche méticuleusement hypnotique, presque hallucinatoire.

Avec jubilation, je me fais devenir l’élève de la jeune professeure d’arts plastiques que j’ai été.
Une production qui rayonne la vie, porte du bonheur.

Ça fait du bien.