Les Cafés

Tu entends le tintement des cuillères dans les tasses, le vrombissement
du torréfacteur derrière le comptoir, le froissement des pages du journal local, les rires à la radio, le garçon qui ouvre le tiroir-caisse et rend la monnaie.

Tu y es,
immergé dans l’atmosphère typique du café français resté dans son jus.

Tu as un doute.
Serais-tu au vingtième siècle ?
Est-ce un travail économe et patient avec un boîtier 6×6, en 200 asa ?

Que nenni ! Tu es ici et maintenant !

En vérité,
Christelle Richard-Dauphinot porte de grosses lunettes
et marche avec une canne. Elle reste toujours assise.
Elle choisit un boîtier compact, discret et maniable.

Elle se plante dans les cafés toulousains.
Fondue dans l’ambiance, elle observe longuement.
Immobile, c’est l’instant qui vient à elle.
Elle déclenche.
A la sauvette.

Photographier uniquement en position assise
induit des angles de vue et des cadrages.
Elle capte l’esprit des mouvements, plutôt que les visages.
Le choix du format carré est exigeant.
Ce noir et blanc tend vers l’intemporel.

Angèle, patronne du Cactus, bar photo emblématique,
témoigne à l’auteure qu’elle a su capter le métier.
Elle collectionne.
Nathalie travaille au pôle handicap de la mairie de Toulouse.
Elle collectionne.
Françoise, son opticienne, se demande
comment ces prises de vue ont été possibles derrière de si grosses lunettes.
Elle collectionne.

L’acuité baisse, ces photos sont en passe d’être les dernières.
Cette rareté les achemine-t-elle à la frontière de l’aura benjaminienne ?

Christelle Richard-Dauphinot fait mentir Marc Riboud qui assurait que
« pour faire de bonnes photos, il faut avoir surtout de bons souliers.